"Il faut une relation fondée sur l'empathie"
Catherine Gueguen, Pédiatre

Cet article est extrait du dossier "Le génie du bébé", rédigé par Elena Sender et Sylvie Riou-Milliot 
et publié dans Sciences et Avenir n°841 de mars 2017.

Sciences et Avenir : Que faut-il pour que le cerveau se développe de façon optimale ?

Catherine Gueguen : Les expériences vécues par le bébé modifient en profondeur son cerveau. Les études montrent que certaines expériences facilitent sa maturation quand d'autres la ralentissent. Une chercheuse néerlandaise, Laura van Harmelen actuellement à Cambridge (Royaume-Uni), a ainsi observé que le cortex orbitofrontal, une structure impliquée dans l'empathie, la régulation des émotions, la prise de décision, le sens éthique et moral, diminue de volume chez l'enfant en cas de maltraitance émotionnelle.

Qu’appelez-vous "maltraitance émotionnelle" ?

Selon la définition de l'Organisation mondiale de la santé, c'est tout comportement ou parole qui rabaissent l'enfant, comprenant les menaces verbales, l'isolement social, l'intimidation, l'humiliation. Le fait de le terroriser, de l'exposer au danger, à la violence. C'est aussi le rejeter, ne pas répondre à ses besoins. Cette maltraitance émotionnelle reste très préoccupante, sans parler de la grande maltraitance physique qui, rappelons-le, fait deux morts par jour en France (source Inserm).

L’éducation bienveillante serait donc à la base d’un bon cerveau ?

Absolument ! Bruce MacEwen, de l'université Rockefeller (États-Unis), a montré qu'une trop grande quantité d'hormones du stress (cortisol) interfère sur l'hormone de croissance des neurones et donc sur le bon développement du cerveau. Le cortisol est sécrété lorsque l'amygdale cérébrale est activée par la peur, le danger, la menace. Or, cette structure est l'une des seules à être mature à la naissance, ce qui rend le nouveau-né ultrasensible à la peur. En conséquence, la violence (physique ou verbale) abîme concrètement son cerveau. Dans ma pratique clinique, j'avais constaté l'effet néfaste d'une éducation trop autoritaire.

Aujourd'hui, les neurosciences confirment qu'humilier un enfant est nocif pour son cerveau. Pour le protéger, il faut une relation empathique, aimante, encourageante alors que l'éducation "à l'ancienne" - à base de brimades et punitions - est encore très prégnante. Selon l'Unicef, quatre enfants sur cinq dans le monde sont encore soumis à une discipline verbale ou physique violente.


Quelles difficultés rencontrent les adultes face au petit enfant ?

Le plus difficile pour les adultes est de faire face à l'immaturité cérébrale de l'enfant. Celui-ci est dominé par son cerveau archaïque et émotionnel jusqu'à 5 ans. Lorsqu'il éprouve de la colère, de la tristesse ou de la peur, il n'a aucun filtre ni pouvoir de contrôle, car son cortex préfrontal (régulation des émotions, raisonnement) est immature. Ce qui engendre de véritables tempêtes émotionnelles incontrôlées. L'âge du nombre le plus élevé de fessées est à 3 ans, ce qui en dit long…

Mais comment bien réagir face à ces tempêtes émotionnelles ?

Il faut changer son regard, se dire que le bébé n'est pas encore "équipé cérébralement" pour réagir autrement. La clé de la réussite, c'est comprendre les émotions de l'enfant, lui dire que sa colère doit être très difficile à vivre, mais qu'il va apprendre à la contrôler petit à petit, qu'on lui fait confiance.

N’est-ce pas trop laxiste ?

Il faut rappeler le cadre lorsque c'est nécessaire et expliquer brièvement pourquoi on dit "non". Mais il faut être aussi un bon modèle ! Dès la naissance, l'enfant est un imitateur hors pair. Si l'adulte crie, menace, humilie - voire frappe -, il ne peut être étonné que l'enfant reproduise ce comportement. Les enfants élevés avec empathie ne deviennent pas agressifs.

Les livres qui prônent une réforme de l’éducation et de l’école fleurissent. Pourquoi cet engouement ?

L'éducation étant dans une impasse (crise des professeurs, mauvais classement des élèves Français aux tests internationaux…), il y a un besoin de renouveau. Depuis Antonio Damasio - le premier à avoir révélé "la raison des émotions" (1995) -, nous avons compris qu'il fallait revoir nos méthodes pour éduquer des enfants davantage en accord avec ce qu'ils sont et en obtenir le meilleur. Cela va dans le bon sens : depuis 2015, le programme de maternelle insiste sur la "bienveillance", moyen de développer la confiance, c'est un progrès. Mais il reste des résistances. Car le sujet de l'éducation "bienveillante", qui transforme notre vision de l'être humain que l'on n'a plus à "mater", est politique. Et des décideurs qui gardent une vision traditionnelle rechignent à l'appliquer.

Un enfant peut-il surmonter une éducation violente ?

Tout dépend, bien sûr, du préjudice subi. Une violence éducative peut être surmontée par la résilience, grâce à la plasticité du cerveau, c'est-à-dire sa capacité à se remodeler en fonction de son environnement. Évitons d'avoir à réparer et choisissons une nouvelle éducation empathique à la place d'une éducation basée sur le stress ! Nelson Mandela disait : "L'éducation est l'arme la plus puissante que vous pouvez utiliser pour changer le monde." J'ajouterai que l'éducation doit être adaptée au cerveau des enfants.




Enfant stressé, ado incontrôlable!
Cerveau & Psycho - N° 96 - Février 2018
Stressé très jeune, le cerveau de l'enfant perd sa capacité à anticiper les conséquences de ses actes.
 Il développe alors des troubles du comportement comme l'agressivité, l'impulsivité ou la provocation

Agressivité, impulsivité, difficulté à prendre de bonnes décisions, consommation de drogues : les troubles du comportement à l’âge adulte sont souvent la conséquence d’une enfance difficile, marquée par un stress chronique dans l’environnement familial. Récemment, une étude d’imagerie cérébrale a montré que le stress des premières années perturbe le système de récompense, un ensemble de structures cérébrales permettant de voir venir les conséquences positives ou négatives de nos actes. 


INCAPABLES D'ANTICIPER UNE RECOMPENSE FUTURE


Dans cette étude, des chercheurs de l'Université du Wisconsin à Madison ont mesuré le niveau de stress vécu par des enfants de 10 ans, dont certains avaient été exposés à une adversité chronique à cause d'un climat délétère dans leur famille, de problèmes d'alcoolisme des parents, de violences domestiques, voire d’une situation de précarité ou de harcèle­ment à l’école. Dix ans plus tard, les chercheurs ont réalisé des IRM de ces mêmes personnes, devenues adultes. C’est à ce moment-là qu’ils ont constaté des altérations du système de récompense de leur cerveau.


C’est en étudiant la réaction de ces jeunes à des gains ou des pertes d’argent qui leur étaient annoncées via un écran d’ordinateur, que les neuroscientifiques ont découvert le pot aux roses. Avant chaque gain ou perte financière, on leur présentait en effet des images qui jouaient le rôle d’indices permettant de prédire si un gain ou une perte allait interve­nir. On sait que dans de pareilles conditions, des zones bien précises du cerveau s’allument dès la présen­tation des indices visuels annonçant le résultat final. Ce circuit d’aires cérébrales aide à anticiper les consé­quences futures d’une situation, à évaluer les gratifications ou les diffi­cultés à venir. Il intervient dans l’ajus­tement de nos comportements : lorsque nous nous mettons en colère contre quelqu’un et l’agressons ver­balement, puis constatons que nos relations sont dégradées et que cela entraîne toutes sortes de désavan­tages, nous apprenons à nous maî­triser. Or, ce circuit d’anticipation était perturbé chez les jeunes exposés à un stress important pendant l’en­fance. Certaines parties du circuit s’activaient moins lorsque les jeunes étaient exposés à des indices annon­ciateurs d’une perte financière future : ils avaient du mal à anticiper les problèmes. D’autres parties du circuit restaient amorphes face à des signaux indiquant un gain potentiel : cette fois, c’est la capacité à sélec­tionner des comportements profi­tables qui serait amoindrie.


CAPACITÉ DE DÉCISION ALTÉRÉE


Dans l’ensemble, la perturbation de ces réseaux neuronaux met à mal la capacité de prise de décision. 

Ayant des difficultés à ajuster leur comportement en fonction des retours futurs, les sujets de ces expé­riences se montraient logiquement plus impulsifs : dans des tests de prise de décision, ils ne prenaient pas le temps de réfléchir et donnaient leurs réponses de manière précipitée.
Comment le stress perturbe-t-il la mise en place de ces circuits de la prise de décision ? On sait qu’il pro­voque la libération de certaines hor­mones dont le cortisol, qui peut avoir une action toxique sur les neurones, en réduisant le nombre de leurs connexions. Le cerveau des enfants est fragile et sa croissance se poursuit durant de longues années. Plutôt que de leur mettre la pression pour qu’ils réussissent, il est plus important de les sécuriser, car leur capacité de prise de décision en tant qu’adultes en dépendra.


R.M. Birn & al., Early childhood stress exposure, reward pathways and adult decision making, PNAS, édition en ligne du 14 décembre 2017


QUAND LA FESSÉE 
monte au cerveau
Tenter de se faire respecter ou d’apprendre quelque chose à un enfant avec une fessée est inefficace, voire contre-productif.
OLIVIER HOUDÉ
Professeur à l’université Sorbonne-Paris-Cité
(USPC), directeur du LaPsyDÉ, CNRS

Tiré de "Cerveau & Psycho" - N° 99 - Mai 2018


«Une bonne fessée n’a jamais fait de mal à personne. » 

Voilà une idée reçue qui ne tient pas du tout. Car ce n’est pas seulement le corps qui souffre, sait-on aujourd’hui, mais aussi le cerveau


Récemment, des chercheurs américains ont compilé 50 ans d’études sur le sujet, réalisées dans 13 pays avec 160 000 enfants, et leur constat est sans appel : suite aux fessées, les enfants deviennent plus agressifs et récoltent donc plus de fessées. C’est un cercle vicieux ! Et les scientifiques ont clairement montré que pour corriger à court terme des comportements inadaptés, comme ne pas suivre les ordres des parents ou braver leurs interdictions, donner la fessée n’est pas plus efficace que de mettre simplement l’enfant seul à l’écart pour qu’il se calme et réfléchisse. Et c’est pire à long terme : la fessée est bien moins utile que la mise à l’écart pour que le jeune « s’autorégule » et ait conscience de ses erreurs. 

En outre, plusieurs dizaines d’études scientifiques ont révélé que les VEO ("Violences Educatives Ordinaires") non seulement ne réduisent pas les comportements agressifs des jeunes eux-mêmes, mais les renforcent. 

Par exemple, une recherche portant sur 3 000 enfants d’écoles maternelles a montré que la pratique
de la fessée entre les âges de 1 et 3 ans prédisait l’augmentation de leurs conduites agressives à l’égard des autres quand ils auraient entre 3 et 5 ans. Et ce, indépendamment d’autres facteurs comme la personnalité déjà plus ou moins agressive de l’enfant ou de ses parents. Des effets similaires ont été démontrés jusqu’à l’adolescence. 


LE CERVEAU REPRODUIT CE QU’IL A APPRIS, Y COMPRIS LA VIOLENCE


L’explication en est simple : les enfants reproduisent dans leur cerveau le modèle mental et comportemental de résolution  de conflits qu’on a appliqué sur eux, c’est-à-dire la violence. 

Mieux vaut donc, dès le plus jeune âge, en reprenant le terme du psychologue du développement Lev
Vygotsky, éveiller, dans le cortex préfrontal de l’enfant, un langage régulateur par la parole plutôt qu’une violence régulatrice.
On peut déjà parler aux bébés bien avant qu’eux-mêmes n’y arrivent, vers l’âge de 2 ans ! Ensuite, le dialogue, l’explication et le raisonnement resteront toujours les clefs pour enseigner le respect d'autrui.

Il faut savoir que tout ce qui touche le corps de l’enfant atteint aussi son cerveau. Une fessée n’est donc jamais anodine. Le cortex somatosensoriel situé le long du sillon central cartographie en permanence et précisément les sensations et informations en provenance du corps, en particulier des fesses ou des extrémités des doigts, où cela fait très mal. Cette cartographie des VEO dans le cerveau crée des images mentales de violence, qui s’associent à l’activation d’une autre région cérébrale plus cachée :l’insula, la zone de la douleur.

 Avant même l’exploration du cerveau par imagerie, les psychologues du comportement et du conditionnement comme le béhavioriste Burrhus Skinner avaient déjà apporté des arguments scientifiques forts – et pas seulement idéologiques, permissifs ou laxistes – pour l’abandon des punitions à l’école et à la maison.En effet, c’était avec des récompenses et non des punitions que les rats de ses expériences apprenaient efficacement. Ce principe est aujourd’hui confirmé : la peur et la souffrance permettent parfois d’apprendre de nouveaux comportements, de fuite notamment, dans certaines situations de survie, mais diminuent la mémorisation dans des conditions apaisées.

Le psychologue du développement Jerome Bruner avait aussi souligné que dans les interactions d’étayage entre parents et enfants, c’est-à-dire dans les interventions des adultes pour l’apprentissage des jeunes, il faut créer une relation de confiance et non de peur. Dès lors, remarquait-il, l’intention d’apprendre des enfants, et même des bébés, dépend directement du soutien social et  affectif apporté par les parents.